Chapitre 2
Quand il eut neuf ans, sa famille déménagea vers Tahiti afin que sa sœur et lui puissent aller à l’école. Ils n’habitaient pas loin de l’école et comme Hiro ne parlait que le paumotu, sa sœur lui servait d’interprète auprès du professeur.
L’école ne disposant pas de cloche, le maître d’école sifflait pour inviter les enfants à entrer. Ils devaient laver leurs mains avant d’aller en classe. Si leurs ongles n’étaient pas propres, le maître leur tapait sur le dos de la main avec une règle. Et quand les enfants ne se comportaient pas bien en classe, on les faisait s’agenouiller devant le tableau.
Pendant les moments de pause, les enfants jouaient à divers jeux. « pere sauve » était le nom de l’un de ces jeux. Deux équipes étaient alignées l’une en face de l’autre, l’équipe n°1 au milieu de l’aire de jeu, et l’équipe n°2 à l’une des extrémités. L’équipe n°2 devait essayer de passer à travers l’équipe n°1 sans se faire toucher.
Les méthodes d’enseignement étaient alors différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui. Les enfants progressaient jusqu’à ce qu’ils aient réussi le « Métro », après quoi ils pouvaient poursuivre leurs études à un niveau supérieur. Si un enfant n’avait pas passé le Métro à quatorze ans, il ne pouvait plus continuer l’école. Les matières étudiées à l’époque étaient le français, l’histoire et la géographie, et les mathématiques.
Hiro réussit son Métro mais ne poursuivit pas longtemps ses études. En fait, il démarra à l’âge de seize ans un tout nouveau chapitre de son existence.
A l’époque où il avait neuf ans, la Seconde Guerre Mondiale faisait rage. Les tahitiens se sont préparés à partir combattre contre les allemands en France. Chacun se préparait au départ. Chaque fois qu’un bateau arrivait pour repartir, c’était tout un évènement. Tous les volontaires quittaient leurs familles, femmes et enfants pour aller à la guerre. Beaucoup de gens pleuraient de voir partir un père ou un mari qu’ils ne reverraient peut-être jamais vivant.
Environ un ou deux mois après le début de la guerre, il y eut une famine à Tahiti, les bateaux de ravitaillement ne venant plus en raison de la guerre. Hiro se souvient que lorsque la guerre éclata, le gouvernement demanda à chaque famille d’aller s’inscrire pour recevoir des tickets de rations alimentaires. Chaque famille avait ses tickets pour aller au magasin acheter de quoi manger. Seulement ceux qui allaient au magasin pouvaient recevoir de la nourriture, ce qui faisait que toute la famille devait y aller. Hiro se souvient de ces moments où il allait au magasin juché sur les épaules de son père, tenant d’un côté la main de sa mère et de l’autre celle de sa sœur. Ils se frayaient un chemin dans la file d’attente pour recevoir de quoi manger, en l’occurrence un pain par personne. Les magasins (tinito), ou chinois, (appelés ainsi parce qu’ils étaient tenus par des chinois) donnaient suffisamment de pain pour les familles qui venaient s’approvisionner. Il y avait des enfants qui venaient seuls au magasin qui étaient à moitié étouffés par la foule. Il y avait toujours des enfants qui pleuraient. Cela faisait vraiment pitié à voir, mais c’était vraiment chacun pour soi. Il était indiqué sur chaque ticket de rationnement les aliments auxquels il donnait droit, « pain », « sucre », « beurre », etc… Etaient même inclus le tabac et le vin. Chaque fois que des aliments étaient donnés sur présentation d’un ticket de rationnement, le terme correspondant était barré sur le ticket. Comme la famille de Hiro était mormone, ils n’utilisaient pas le tabac ni le vin. Beaucoup de personnes non affiliées à leur religion venaient donc vers eux pour avoir ces articles que la famille échangeait avec plaisir contre de la nourriture, occasion pour eux d’avoir un peu plus de riz, de sucre etc…
Hiro avait 12 ans lorsqu’il retourna à Takapoto pour des vacances. Dès qu’il eut débarqué, il alla voir Mama Parutu. Il l’appela depuis la route, et elle lui répondit. Elle lui avait beaucoup manqué et il voulait la revoir. Quand il entra chez elle, il fut choqué de voir l’état dans lequel elle était. Elle ne pouvait plus marcher et se déplaçait à quatre pattes. Son visage était devenu très ridé. Hiro sut tout de suite qu’après son départ il ne la reverrait plus vivante. Mama Parutu le savait aussi. Elle lui enseigna un poème ou chant :
Ce qui veut dire: “Si un bateau nous sépare, nous pourrons nous retrouver; mais si la mort
nous sépare, nous ne nous reverrons jamais.” Hiro lui dit qu’ils se reverraient à nouveau dans
l’au-delà.
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